Tous les articles par Remito
Poètes surréalistes
Jacques Baron – Le piège au repos
La chère nue brûle La chair nue brûle
Toutes les nuées toutes les femmes
sont venues au bord de mer
dans des chariots de coquelicots
Aux bâtiments de la grand’ville
flottent des sanglots de drapeaux
La chair nue coupable des merveilles de ce monde
accroche à ses seins nus les nues de l’autre monde
La forêt sans un bruit s’avance vers les femmes
Les oiseaux sont des boules de feu au bout des palmes
Les femmes et la forêt font l’amour dans les lignes de ma main
Ruisseaux de cruauté Arbrisseaux de fragilité
Mésanges mes anges en liberté
Tombeau de la charmante vérité
Pleurez pleurez naïveté
Sourcils soucis de ma beauté
Bâti bateau de charité
Muse abusée mon heure d’été
Rue du liseron lisez le rendez-vous
des fous aux cheveux roux
aux chapeaux ronds
montés sur des chameaux marron
avec les charrons des mots charmants
qui marchent sur des peaux de harengs
renâclent à la besogne et soignent les bedeaux
qui n’ont que la peau sur les os
Les jours limités par les jours qui s’enfuient
Les Cent-Jours imités de la Princesse Guardafui
et le colosse ruiné au pied du Mont Sinaï
La paille et la poutre à la corvée de patates
et le doux chèvrefeuille allant chez la voisine
Le Pas d’Ane rêveur à genoux dans la cuisine
et le silence qui fait un bond de monde en monde
et les chardons de la raison
manœuvrent les colimaçons
Les feuilles tombent et l’œil fonde
à l’horizon la dernière maison
du premier homme de la terre
et du dernier le plus obscur
amant des muses pissant le long du mur
(Je suis né…, Seghers, 1952)
Pierre de Massot – Le déserteur
Non non la vie ne vaut à aucun prix la peine
d’être vécue et je sais bien qu’un prochain jour
je m’en déferai comme d’une veste à la couleur
et à la coupe de laquelle on ne peut s’habituer
pour la première fois vraiment heureux sans doute
mais néanmoins avec la neige
d’une mélancolie infinie amassée dans mon cœur
lourdement amassée dans les replis de mon cœur
comment pourrais-je donc regretter quelque chose
moi qui ne me suis jamais attaché à rien
sinon à cette étoile immense inaccessible et toujours plus lointaine
qu’est l’amour
sinon à cette flamme dévoratrice et sibilante
qu’est l’amour
sinon sur le désert brûlant des corps à ce soleil implacable
qu’est l’amour
sinon à ce grand rêve où sombrent tous les rêves
qu’est l’amour
sinon à cette mort chaque fois plus mortelle
qu’est l’amour
comment pourrais-je encore espérer quelque chose
moi qui désespérais de tout au monde
comment pourrais-je croire à quelque chose au monde
moi qui jamais n’ai cru en rien
moi l’éternel chercheur d’or au fond de tes yeux
de tes yeux d’or où les paupières
faisaient de l’ombre sur mon ciel
pour me ravir mieux mon trésor
Mes amis sont partis tous mes amis sont morts
Édouard Édouard toi que j’ai tant aimé
toi sur le cœur de qui j’ai dormi tant de soirs
toi à cause de qui je meurs de vivre et de t’attendre
Erik nos promenades tout au long de la nuit
sur les berges du fleuve où venaient les étoiles
perles aux doigts du vent éclore entre nos mains
Jacques autour de la lampe quand les fumées d’opium
nous enivraient j’aurais voulu j’aurais bien dû
te serrer dans mes bras et te dire et dire Jacques
mais le train passe et l’heure passe et le temps passe
comment ô bien-aimés ai-je pu vivre
sans vous une seule heure une seule
Je me le demande souvent le soir à cette heure
où vous m’entourez invisibles
me pressant de vous rejoindre
vous que seuls je voudrais revoir
ô visitation silencieuse et pleine pourtant de rumeurs
de murmures comme de baisers perdus entendus
par l’oreille appliquée au creux d’un coquillage
quand l’océan déferle aux flancs des monstres glauques
Fantômes de l’Amour qu’êtes-vous devenus
Bordel de sacré nom de dieu qu’ils prennent garde
ceux qui voudraient me dire que la vie après tout
qu’il existe ici-bas des devoirs des obligations
qu’il est tout à fait impardonnable de s’y soustraire
et qu’elle est belle à qui sait lui sourire
et cætera des conneries en veux-tu en voilà
j’ai trop souffert pour les entendre et ne tolérerai
pas d’être ainsi emmerdé Est-ce compris
que la blatte en soutane le serpent à cornette
ne profitent pas de mon agonie si par mégarde
ma mort n’est point instantanée
pour cheminer le long de la muraille
et pour ramper jusqu’au bois de mon lit
avec un affreux bruit de chapelets de patenôtres et d’orémus
à d’autres ces sornettes bons apôtres
qu’on me laisse crever en paix dans la ténèbre
comme une pauvre bête se cache pour mourir
on ne présente pas les armes que je sache
aux déserteurs On les fusille
Je n’ai jamais été ici qu’un déserteur
(1931)
Philippe Soupault – La bouée
Foutez-moi à la mer
mes amis
mes amis quand je mourrai
Ce n’est pas qu’elle soit belle
et qu’elle me plaise tant
mais elle refuse les traces
les saletés les croix les bannières
Elles est le vrai
silence et la vraie solitude
Pour un peu de temps
celui qui me reste à vivre
nous savons mes amis
que l’odeur qui règne
autour des villes
est celle des cimetières
que le bruit des cloches
est plus fort que celui du sang
Foutez-moi à la mer
mes amis
il y a de la lumière et du vent
et ce sel qui ronge tout
qui est comme le feu
et comme les années
La mer ne reflète rien
ni les visages ni les grimaces
Je ne veux pas de ces longs cortèges
de ces femmes en deuil
des gants noirs
et de tous ces bavards
Rien qui rappelle ces ombres
ces larmes et ces oublis
La mort est mon sommeil
mon cher sommeil
Foutez-moi à la mer
les amis
les amis inconnus mes frères
Tous ceux qui ne m’ont pas connu
et qui n’auront ni regrets
ni souvenirs
Pas de souvenirs surtout
seulement un coup d’épaule
(Poésies complètes, GLM, 1937)
Exutoire
Les derniers bouquins que j’ai lus (2)
Pinar Selek – La maison du Bosphore
Livre envoûtant, une mélancolie lancinante typiquement méditerranéenne. Une soif de liberté qui transpire dans chaque page, dans chaque personnage. Mais en même temps une ambiance de fond très tendue et obscure car l’histoire de la Turquie des années 70-80 est très violente. Et cela perdure de nos jours. Pinar Selek en sait quelque chose. Accusée à tort d’avoir commis un attentat à Istanbul, elle vit avec les appels réguliers au tribunal pour un simulacre de jugement.
– Où es-tu née
– A Denizli
– Mais tu n’es pas de l’Est, de Dogubeyazit ?
– Ma famille vient de l’Est, comme de nombreux Kurdes. Mais avec l’émigration forcée, mon père a dû s’exiler à Denizli. Nous ne nous sommes jamais sentis chez nous. Les locaux ne nous acceptaient pas.
– Les locaux ? Mais qui est autochtone dans ce pays ? Tous les peuples ont migré, changeant sans cesse d’endroit. A Denizli, beaucoup de locaux sont grecs!
Vincent Piolet – Regarde ta jeunesse dans les yeux
Une enquête poussée et soignée sur l’histoire du début du hip-hop en France dans les années 80. Ainsi on comprend rapidement que les précurseurs du rap français ne sont pas les médiatiques Ntm, Assassin, Ministère Amer ou MC Solaar ; mais Dee Nasty, Lionel D, Nec+Ultra, New Generation MC, EJM, Destroy Man & Johnny Go… Tout une galerie d’illustres inconnus qui ont réellement construit ce mouvement avec peu de moyens mais une passion et une énergie débordante.
Wilhelm Reich – La révolution sexuelle
Certains diraient un classique du freudo-marxisme. Pour moi c’est un classique de la littérature révolutionnaire qui doit servir au prolétariat dans sa lutte pour l’abolition de la société de classe. Reich remet en cause la sainte famille que nous connaissons tous et qui engendre la répression sexuelle. La deuxième partie du bouquin traite de l’expérience de la révolution russe de 1917 et les conséquences pratiques sur la sexualité et la famille.
Un bon résumé sur Zones Subversives
Pier Paolo Pasolini – La longue route de sable
Un petit bouquin sympathique. Pour rejoindre Trieste de Ventimiglia, Pasolini ne va pas traverser les Apennins puis la plaine du Po, mais suivre la côte de toute l’Italie. Il observe et décrit des lieux, des personnages et des paysages à sa manière très poétique, parfois cinématographique.
Un traitement révolutionnaire
Daniel Keyes
Deux bouquins à lire absolument. Deux classiques de Daniel Keyes, écrivain américain, diplômé en psychologie et professeur à l’université de l’Ohio.
« Des fleurs pour Algernon »
Ecrit sous forme d’un journal intime, le narrateur est un retardé mental qui va bénéficier d’un traitement expérimental pour développer ses capacités intellectuelles. Le traitement va fonctionner mais ne va pas durer, et le narrateur va se voir régresser.
« Les mille et une vies de Billy Milligan »
L’histoire vraie de Billy Milligan de son enfance à son incarcération, et la découverte par les médecins de sa maladie « le syndrome de personnalités multiples ». Battu et violé par son beau-père, Billy Milligan va développer 24 personnalités différentes en réaction aux situations douloureuses de sa jeunesse. Arrêté à la fin des années 70 pour viol, il est interné dans une prison-hôpital. Ecrit comme un thriller psychologique. Passionnant et fascinant.
Liens
Le site de Daniel Keyes
Article sur Le Monde
Pier Paolo Pasolini « Au prince »
Si le soleil revient, si le soir descend
si la nuit a un goût de nuis à venir,
si un après-midi pluvieux semble revenir
d’époques trop aimées et jamais entièrement obtenues,
je ne suis plus heureux, ni d’en jouir ni d’en souffrir ;
je ne sens plus, devant moi, la vie entière…
Pour être poètes, il faut avoir beaucoup de temps ;
des heures et des heures de solitudes sont la seule
façon pour que quelque chose se forme, force,
abandon, vice, liberté, pour donner un style au chaos.
Moi je n’ai plus guère de temps : à cause de la mort
qui approche, au crépuscule de la jeunesse.
Mais à cause aussi de notre monde humain,
qui vole le pain aux pauvres et la paix aux poètes.
1958
Extrait de :
Quelle horreur cette société
Un bon mois de janvier pourri, l’année 2015 commence bien. Je vais pas dire « la suite pourra pas être pire » parce qu’avec ce système, on sait jamais jusqu’où la connerie humaine peut aller.
Quelle horreur cette société.
Non je ne suis pas Charlie, je ne vais pas défendre ce journal de gôche, animé par des survivants se jetant dans les bras de Hollande, sous prétexte de défendre la liberté d’expression, cette sainte valeur de la société bourgeoise. Comme si cette pseudo liberté était le gage d’une vraie démocratie. Comme si on pouvait s’exprimer librement dans ce pays sans être fichés par les poulets, muselés par les appareils politiques et syndicaux. L’horreur est au pouvoir tous les jours, les journalistes assassinés sont les victimes d’une tension permanente engendrée par la haine, entretenue par la classe dominante, aidée en cela par les fanatiques religieux pour que les prolos se bouffent entre eux. Regardez tous ces chiens de politiciens et de médias qui rongent l’os qui vient de tomber, ça émet de grand discours teintés d’émotion bidon, et de volonté d’union nationale. J’ai envie de vomir. Désolé mais j’ai pas de pays, pas de religion, ça évite les confusions. On sait très bien où mène le nationalisme : à la guerre.
Dimanche 11 janvier, les moutons ont défilé avec leurs patrons et chefaillons, toutes les classes unies contre les méchants terroristes. Et une foule bien apeurée par les événements en arrive à applaudir l’école du crime… Merci de nous protéger, vous êtes des héros. Surtout quand vous frappez et tuez lors des dernières manifs à Nantes et à Sivens. Les flics peuvent tuer sans soucis, ils n’iront jamais en prison. Par contre nous, les prolos quand on sort du cadre légal bourgeois, les sentences sont violentes. Et arrivés en prison (cette merveille de punition et de rédemption, amen), certains se font embrigadés par les sectes islamiques et deviennent des objets de peur médiatique. Dimanche 11 janvier, des salariés ont défilé à l’appel des partis et des syndicats qui les baisent, à l’appel des dirigeants politiques qui les méprisent. Où est la conscience de classe ?
Non je ne suis pas policier, je ne porterai jamais l’uniforme du pouvoir. Je n’ai pas envie d’appliquer un plan vigipirate, ni de nouvelles lois sécuritaires pour protéger la bourgeoisie. Je sais que les attentats profitent toujours aux dirigeants. Ils s’en servent contre nous pour remonter leur popularité et conserver leur pouvoir. La peur est un outil permettant de maintenir une population dans la résignation et dans la demande de plus de sécurité, donc plus de flics, de surveillance et de lois répressives, et moins de liberté. Car dans le vocabulaire bourgeois, un terroriste peut aussi bien être un anarchiste tuant un patron, qu’un illuminé religieux tuant des innocents. Est terroriste celui qui défit l’Etat sous n’importe quelle drapeau que ce soit, et l’Etat se nourrit de cette violence pour la retourner contre nous.
Non je ne suis pas juif, ni musulman, ni chrétien. Je suis athée anticlérical. Je suis pour la révolution prolétarienne mondiale, pour une société plus juste, plus libre, pour le communisme. Je ne crois pas en vos idoles qui obscurcissent nos vies sous des règles et contraintes débiles. Je suis contre les religions et les religieux qui veulent nous soumettre à un Dieu qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais.
Allez continuer de défendre la liberté d’expression de vos maîtres, les valeurs de votre chère patrie et continuer d’obéir à vos chefs en appliquant le plan vigipirate, la délation, la surveillance de l’autre. Vous êtes des bons soldats du capital.
Union nationale + Interclassisme = Totalitarisme
Lundi 12 janvier, le gouvernement déploie 10.000 militaires sur le territoire.
Mardi 13 janvier, Manuel Valls présente ses mesures exceptionnelles pour la répression, les députés chantent la Marseillaise en chœur dans l’assemblée.
Mercredi 14 janvier, des moutons se battent pour un journal dont ils ne connaissaient pas l’existence la semaine d’avant.
Derrière tout ce nationalisme, ce suçage de flic et les bonnes consciences qui ont affiché leur soutien sur leur mur Facebook, la lutte de classe continue. Et pour l’instant, la lutte est toujours en faveur de la classe dominante, qui en utilisant cet affreux événement, persévère dans sa guerre contre le prolétariat : Loi Macron1, Grand Paris, réductions budgétaires, austérité, mesures contre le terrorisme2… et réactivation des services de renseignement (sous le sigle SCRT), durant la fin de l’année 2014, chargés de « renseigner le gouvernement sur l’état de l’opinion et les mouvements sociaux » !3
Derrière ce spectacle, la violence du système capitaliste se reproduit tous les jours, des hommes, des femmes, des enfants se font tuées chaque jour. Et la France n’est pas en dehors de ce monde.
Je vous invite à écouter la dernière émission de Radio Vosstanie « Liberté & Expression » http://vosstanie.blogspot.fr/2015/01/emission-de-la-web-radio-vosstanie-du.html
1http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20150125.AFP6491/appel-de-30-intellectuels-patrons-et-economistes-a-voter-la-loi-macron.html
http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/18153.pdf
http://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl2447.asp
2http://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/0204097235518-suivez-en-direct-les-annonces-de-valls-sur-la-lutte-antiterroriste-1085378.php
Omar Khayyam, Robâiyat
Le mystérieux Omar Khayyam aurait vécu à Nichapur en Perse de 1048 à 1131. Il était mathématicien et astronome, mais aussi poète et philosophe. Ils exprimaient ses pensées dans des « Robâiyat », traduit en français par « quatrain ».
Omar Khayyam était croyant comme certains quatrains le prouvent, mais il avait une croyance bien à lui. Il n’hésitait pas à critiquer les dogmatiques et à remettre en cause les vérités établies, il exprimait des doutes, des questionnements, ce qui est intrinsèque à la méthode scientifique (normal pour un mathématicien astronome). Il était des fois rationnel et pessimiste et d’autres fois bucolique, mais surtout épris du vin dont il prônait dans beaucoup de quatrains la consommation.
Extrait de la présentation du bouquin :
La brièveté du quatrain lui confère un double avantage par rapport aux autres formes de la poésie persane :
1. Le poète étant tenu de présenter sa pensée dans un cadre limité, il l’exprime sans ambages, autrement dit sans avoir recours à ces recherches de style qui alourdissent fréquemment les œuvres poétique orientales. Cependant, l’allitération, le calembour et le jeu classique et quelque peu ardu qui consiste à réunir dans un distique ou même dans un vers les quatre éléments de la nature sont utilisés avec bonheur dans quelques quatrains. Ces procédés leurs assurent, sans conteste, une persistante popularité.
2. Facile à retenir grâce à sa concision, un quatrain est rapidement transmissible par voie orale, ce qui facilite sa propagation même dans les couches peu lettrées de la société.
Quant aux multiples thèmes développés dans les quatrains, ce sont à peu près les mêmes que ceux de la poésie classique persane : la vanité des choses de ce monde, l’inexorable fuite des jours, le caractère à la fois bref et fragile de la vie qui « n’est séparée de la mort que par l’espace d’un souffle », la prédestination à laquelle nul ne peut échapper, l’incapacité de l’homme à comprendre les mystères de l’au-delà, les tourments de la vieillesse, la mort qui nous réduit en poussière dont on se sert, par la suite, à « fabriquer des coupes et des cruches » ; ironie du sort qui favorise toujours les sots et les ignorants et contrarie les sages. Et comme pour contrebalancer cette vision pessimiste et somme toute désenchantée de la vie, il y a aussi un certain nombre de quatrains à caractère « bucolique » dans lesquels sont évoquées les beautés incomparables de la nature : les fleurs, les oiseaux, les ruisseaux, le vent printanier caressant les roses à peine écloses, la fraîcheur de l’aube, la douceur du clair de lune sont autant de thèmes qui servent de cadre ou de préambule à l’ivresse et à l’amour des femmes et des éphèbes,, plaisirs qu’accompagnent souvent les sons mélodieux de la flûte, du luth ou de la harpe. Le vin, prescrit comme un remède infaillible contre le chagrin, y occupe une place à part : non seulement il revient comme un refrain dans un grand nombre de quatrains, mais dans son Nowrouz Nâmeh même Khayyam n’oublie pas de vanter ses qualités : « Rien n’est plus salutaire aux hommes, écrit-il, que le vin, notamment celui tiré du bon raisin amer. Sa propriété est de bannir le chagrin et de rendre la joie au cœur. »
[…]
Khayyam eut tout particulièrement l’audace de traiter dans ses quatrains quelques thèmes « tabous », quelques paradoxes pour les musulmans qui risquaient fort de lui coûter la vie. Car n’oublions pas qu’il fut contemporain du théologien Abou Mohammad Ghazali dont l’œuvre à elle seule symbolise la victoire définitive de la religion musulmane sur la philosophie héritée des Grecs.
Au mépris des contraintes religieuses et sociales qui sévissaient à cette époque de fanatisme et d’obscurantisme où les moindres écarts aux conventions établies dans la société étaient taxés d’hérésie, il fut, en effet, le seul parmi les auteurs classiques de la littérature persane à se poser directement des questions sur le destin de l’homme et à émettre des doutes sur tout ce que l’on vénérait autour de lui. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Quel est le but de notre séjour ici-bas ? Semble se demander sans cesse Omar Khayyam. Son courage fait l’admiration de tout le monde. « On est étonné de cette liberté absolue d’esprit, écrit Théophile Gautier dans L’Orient (paru à Paris en 1877), que les plus hardis penseurs modernes égalent à peine, à une époque où la crédulité la plus superstitieuse régnait en Europe, aux années les plus noires du Moyen Age. »
Une autre catégorie de quatrains nous révèle dans le même esprit certains aspects de sa philosophie du doute se rapportant directement à quelques dogmes de la religion islamique :
1. Si Dieu, après avoir créé le monde, y trouve des lacunes, à qui la faute sinon au Créateur lui-même ?
2. Si Dieu est miséricordieux, pourquoi fait-il peser ses menaces de punition sur les pécheurs ?
3. Si boire du vin est un acte illicite, pourquoi donc Dieu le créa-t-il ?
4. Pourquoi Dieu crée-t-il les belles choses et les détruit ensuite sans aucune raison apparente ?
L’ironie n’est pas absente dans les quatrains : elle frappe tout particulièrement les faux dévots à qui le poète reproche d’être ignares, avides, hypocrites et de dissimuler leurs turpitudes sous les apparences spécieuses.
Sélection de quatrains
Sur le temps qui passe :
21
Ceux qui ont cherché à suivre leurs penchants ici-bas
Ont quitté ce monde sans avoir comblé leurs désirs.
Tu t’imagines que tu vivras éternellement ;
Avant toi, eux aussi ont caressé la même chimère !
452
Ne vas pas croire que j’appréhende le monde.
Ou que je crains l’agonie et la mort.
La mort étant une réalité, je n’en ai cure.
J’ai peur de n’avoir pas bien vécu.
Sur la vanité :
224
Bien que l’argent ne soit point le capital des sages,
Ce monde est une prison pour ceux qui en sont démunis.
Main vide, la violette baisse la tête jusqu’au genou.
La rose est souriante grâce à sa bourse remplie d’or.
307
Quel est l’homme ici-bas qui n’a point commis de péché, dis ?
Celui qui n’en aurait point commis, comment aurait-il vécu, dis ?
Si, parce que je fais le mal, Tu me punis par le mal ;
Où est donc la différence entre Toi et moi ? Dis !
Sur le vin :
15
Le jour où le vin pur me manque,
Tout m’est poison même l’antidote.
Le chagrin du monde est un poison dont l’antidote est le vin.
Pourquoi craindrais-je le poison si je bois du vin ?
157
Je vais boire tant et tant de vin que l’odeur
En montera de ma tombe.
Et lorsqu’un buveur y passera,
Du seul parfum il tombera ivre mort !
Sur la religion et les religieux :
246
Si, à l’instar de la Providence, j’avais le contrôle de l’univers,
J’aurais anéanti celui-ci.
Et j’aurais bâti un nouveau monde
Dans lequel l’homme libre pourrait réaliser ses désirs aisément.
248
Les amoureux et les ivrognes, nous dit-on, iront en enfer,
C’est une affirmation erronée à laquelle on ne saurait ajouter foi.
Car si les amoureux et les ivrognes vont en enfer,
Demain tu trouveras le paradis plat comme le creux de la main !
502
Jusqu’à quand me blâmeras-tu, ô dévot rigoriste ?
Je suis libertin, fin pilier de cabaret, constamment pris de vin.
Toi, tu ne tiens qu’à ton chapelet, à tes fausses apparences, à ta ruse.
Moi, avec la coupe et la musique, je suis au comble de mon désir près de ma muse !
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Articles et bibliographie sur Biblioweb
Articles intéressants sur La Revue de Téhéran
D’autres Robâiyat
Comment renverser les Illuminati ?
Le document que nous publions ici sous forme de brochure est une adaptation en langue française du pamphlet « How to overthrow the illuminati ? » réalisé par des camarades révolutionnaires étasuniens (membres ou proches de groupes comme « Black Orchid Collective », « Take Back the Bronx », « Creativity Not Control »). http://overthrowingilluminati.wordpress.com/
Nous avons apporté différentes modifications ainsi qu’un certain nombre d’ajouts à la version d’origine. Ainsi, plusieurs aspects historiques de la théorie du complot Illuminati sont précisés et/ou ajustés ; des éléments de l’analyse générale sont calibrés aux spécificités du déploiement du conspirationnisme en France (conditions, manifestations, agents). Au-delà, ce texte intéressera tout individu francophone qui souhaite connaître les origines, les ressorts, les promoteurs de cette funeste mystification et les arguments permettant sa nécessaire démolition.
La théorie du complot Illuminati est le modèle-type de la camelote sous-fasciste. Kit idéologique de mauvaise facture, elle réclame, chez les clients qu’elle cible, les mêmes dispositions mentales que celles cultivées par le divertissement de masse : réceptivité acritique, dictature de l’émotionnel détraqué, stupidité, grégarisme, haine. Une nuance, cependant, la distingue de la ration spectaculaire standard, et tient en ceci qu’elle est une commercialisation de la peur élevée au degré de la paranoïa, de la séparation du sujet d’avec lui-même et son environnement frôlant la schizophrénie. Evidemment, ce vulgaire prêt-à-penser réactionnaire ne peut que plonger dans la plus pathétique des confusions les consommateurs qui s’y adonnent (le plus souvent compulsivement). Le caractère invasif de ce produit réside dans la faible texture des mystifications qu’il porte, ce qui le rend compatible avec d’autres poisons idéologiques : étant structurellement un amalgame ductile, il se dilue facilement dans des systèmes discursifs d’origines et de qualités différentes. On le retrouve, par exemple, enveloppé des pets verbaux du haraceleur-exhibitionniste-raciste Alain Soral, rythmant les bouffonneries rapologiques du fils à papa Rockin Squat ou du prêcheur islamiste Mysa, ou incrusté dans les divagations de prédicateurs trinitaires, salafistes, évangéliques, ou encore à l’appui de délires satanistes… Mais l’intempestif envahissement de la théorie du complot Illuminati découle aussi de sa haute conformité au dispositif de coercition social qu’est internet : A l’image du vecteur qui le diffuse, ce produit arbore une authentique participation sociale (en contre-point des vieux supports médiatiques, comme la télévision) qui pourtant n’a jamais été autre que factice. En ce sens, le conspirationnisme anti-Illuminati est bel et bien une maladie de notre temps, concoctée avec les microbes antisociaux qu’a su propager, à chacune des étapes de son développement structurel, la Société du Spectacle.
En finir avec cette grotesque supercherie, c’est participer au nécessaire ménage que la conscience prolétarienne doit opérer en son sein. C’est aussi relier directement cette pollution mentale, et toutes les autres, au rapport qui les sécrète pour mieux s’y dissimuler : le capitalisme.
La SUITE et la brochure sur le site du GARAP