Orhan Veli

Orhan Veli Kanik, né le 13 avril 1914 à Istanbul et mort le 14 novembre 1950 à Istanbul, est un poète turc, qui fut l’introducteur, avec Nazım Hikmet, du vers libre dans la poésie turque.

Editions Bleu Autour

Un article sur le site Kedistan

Orhan Veli

Passer le temps

Toutes ces belles femmes pensent
Que chacun de mes poèmes d’amour
Leur est destiné.
Malheureusement
Je sais bien que je les écris
Pour passer le temps.

Robinson

De tous mes amis d’enfance
Mon arrière-grand-mère est la plus chérie
Depuis le jour où nous avons inventé mille façons
De sauver le pauvre Robinson de son île déserte
Et pleuré tous deux
En voyant souffrir Gulliver
Perdu
Aux pays des géants

Quantitatif

J’aime les belles femmes
J’aime aussi les ouvrières
J’aime encore plus
Les belles ouvrières

Mes paroles

Je suis né en 1914,
J’ai parlé en 15,
Je parle encore.
Que sont devenues mes paroles ?
Parties au ciel ?
Peut-être reviendront-elles toutes
En 1939,
Transformées en avion ?

Si Allah existe
Je ne lui demande rien d’autre.
Cependant je ne souhaite
Ni qu’il existe
Ni l’avoir comme dernier recours.

En mal de mer

Des bateaux traversent mes rêves
Par-dessus les toits, bateaux pavoisés ;
Moi le malheureux,
Moi en mal de mer depuis des années,
Je regarde, regarde et pleure.

Je me souviens de mon premier regard sur le monde
A travers la coquille d’une moule :
Le vert de l’eau, le bleu du ciel,
Le plus moucheté des éperlans…
De la blessure ouverte sur une huître
S’écoule mon sang encore salé
.
Nous étions partis comme des fous,
Au large, vers l’écume toute blanche !
L’écume n’a pas le cœur méchant,
L’écume ressemble aux lèvres ;
Faire l’amour avec l’écume
N’est pas un péché pour l’homme.

Des bateaux traversent mes rêves
Par-dessus les toits, bateaux pavoisés ;
Moi le malheureux,
Moi en mal de mer depuis des années.

Cap sur la liberté

Avant la levée du jour
Quand la mer est encore blanche tu partiras.
Au creux des paumes la volupté d’étreindre les rames,
En toi le bonheur de réaliser quelque chose,
Tu iras.
Dans les remous des filets de pêche tu iras.
Surgissant sur ta route des poissons t’accueilleront,
La joie te prendra.
Tirant les filets,
La mer viendra dans tes mains écaille par écaille ;
A l’heure où se taisent les âmes des mouettes
Dans leurs rochers cimetières,
De tous les horizons brusquement
Un tumulte explosera.
Tout ce que tu voudras :
Sirènes, oiseaux, festivités, fêtes, fiestas ?
Cortèges, grains de riz, voiles de mariée, grand pavois ?
Ohéééé !
Mais qu’est-ce que tu attends ? Jette-toi à la mer.
Tu vas manquer à quelqu’un ? Peu importe.
Ne vois-tu pas la liberté de tous côtés ?
Sois voile, sois rame, sois gouvernail, sois poisson, sois eau,
Va jusqu’où tu pourras.

Gratis

Gratis, nous vivons gratis.
Air gratuit, nuage gratuit ;
Ruisseau, mont gratuits ;
Pluie, boue gratuites ;
Silhouettes des voitures,
Portes des cinémas,
Vitrines gratuites ;
Ni pain ni fromage mais
Eau amère gratuite ;
Liberté au prix de la vie,
Esclavage gratuit.
Gratis, nous vivons gratis.

Poème trou

Troué le gousset, troué le gilet,
Trouée la manche, trouée la chemise,
Troué le pan, troué le cafetan.

Tu es une vraie passoire, mon grand !