L’école de Rochefort

 E

Jean Bouhier – Escale

L’équipage était sans navire
le ciel avait largué le vent
il n’était plus temps de partir
il était trop tôt pour mourir
l’ombre avait étouffé le dernier soupir des mourants

Partir et l’aventure entre les yeux
et la mer que l’on voit un peu
le passager au bout de son désir
la houle au bout du bras
les mots qui s’en vont pas à pas

L’équipage avait peu d’espoir
un peu de charbon dans la soute
et les maisons qui dansent après boire
les assassins qui bordent les routes
et les relents d’amour qui se perdent le soir

Partir et le bruit sourd des capitales
le gouffre que l’on tient au creux de l’estomac
les cris d’alléluia que l’on livre au grand mât
et les accordéons qui pleurent
le sentiment perdu au croisement des vagues

L’équipage était sans navire
les cris peuplaient la poitrine
le capitaine hurlait à la dérive
la mer ne lui répondait pas
le promeneur avait franchi la rive.


René Guy Cadou – Continuez !

Allez ! Continuez sans moi la voyage
Abandonnez-moi comme un excédent de bagages
Dans le hall d’une grand gare
Ou sur une plage
Sans couvertures ni vivres
A quoi bon !

En ce moment vous traversez peut-être une forêt
A mi-chemin de la montagne
Et vous vous arrêtez soudain pour regarder
Le bleu des arbres et le fond des vallées

Pas de danger qu’on m’aperçoive
Derrière la dernière maison
Après le presbytère
Plus loin
Où l’on relègue les wagons
Là-bas
Dans l’herbe

Comme une chaussure qui boit
Le soleil rit
Et je me sens moi-même porté
En cet après-midi du début de l’année
A des excès de langage.


Jean Follain – L’orage au musée

Il était monté par de grands escaliers
de pierre blanche ;
dehors une femme en courant emportait
un nouveau-né sous la trombe
mais près de lui une autre aux yeux mouillés,
aux lèvres dessinées
regardait les toiles italiennes.
Au plus fort de l’orage réfugié au musée
il écoutait son cœur comme on fait dans les bois
retrouvait les verrières dépolies,
les balustres de fer forgé
le luisant de la cire
tous les grands tableaux bruns et rouges
et aussi dans son souvenir
une fille indolente à la robe ardoise,
aux fins cheveux aile de corbeau
et dont il avait tout un soir
réchauffé les pieds dans ses mains.


Louis Guillaume – Noir comme la mer

Tout ce que je ne puis te dire
A cause de tant de murs,
Tout cela qui s’accumule
Autour de nous dans la nuit,
Il faudra bien que tu l’entendes
Lorsqu’il ne restera de moi
Que moi-même à tes yeux caché.
Tout ce que je ne puis te dire
Et que tu repousses dans l’ombre
A force de trop désirer,
Cet amour noir comme la mer
Où venaient mourir les étoiles
Et ce sillage de lumière
Que je suivais sur ton visage,
Tout ce qu’autrefois nous taisions
Mais qui criait dans le silence,
Tout ce que je n’ai pu te dire
Le sauras-tu, sur l’autre bord
Quand nous dormirons bouche à bouche
Dans l’éternité sans paroles ?


Jean Rousselot – Il n’y avait que le silence

Il n’y avait que le silence
Derrière chaque mot volé
La route expirait dans les pierres
Entre les murs écroulés

Et pourtant le dernier poète
Tendait l’oreille vers la mer
Et cherchait encore à saisir
L’insaisissable oiseau de la parole.